Violences au travail
Non, vous n’êtes pas HPI, autiste, hypersensible, TDI ou TDAH…
Où comment la Société fabrique des « hypers », des « dys » et des « TD », etc.
Depuis quelques années, un phénomène observé par les chercheurs s’installe dans l’espace public : de plus en plus de personnes s’autodiagnostiquent — ou se font diagnostiquer de manière contestable — comme HPI (haut potentiel intellectuel), TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité), autistes ou hypersensibles (n’étant même pas une catégorie reconnue par les psychologues et psychiatres).
S’il est indéniable que le meilleur repérage et la prise en charge de ces troubles cognitifs et mentaux sont une grande avancée pour les personnes neuroatypiques et leur prise en charge, certaines dérives voient aujourd’hui le jour dans les cabinets de psychologie, en entreprise et sur les réseaux sociaux, causant parfois des dommages collatéraux encore peu décelables.
Entre contagion sociale, glamourisation des troubles et narcissisme, comment comprendre ce phénomène ?
L’essor des diagnostics express et des pseudo-experts
Internet a largement contribué à une explosion des diagnostics souvent sans encadrement médical rigoureux : test rempli de biais promettant de tester son QI, article de blog non sourcé, article pseudoscientifique interrogeant des experts non compétents. Cette désinformation est ensuite relayée par les réseaux sociaux et influenceurs qui popularisent et vulgarisent des troubles mentaux souvent de manière erronée. Une étude de 2022 sur TikTok et le TDAH indique que 52 % des vidéos analysées sur TikTok portant sur le TDAH contenaient des informations erronées ou trompeuses.
L’engouement pour ces diagnostics a également engendré une explosion des offres — souvent très lucratives — de coaching, de formations et de consultations spécialisées. Des coachs en « hypersensibilité », des spécialistes autoproclamés du TDAH ou du HPI (souvent eux-mêmes autoproclamés de la même sorte) fleurissent proposant des diagnostics démagogues et des solutions miracles.
Et même chez les professionnels diplômés et sérieux, on observe une tendance générale à surdiagnostiquer les enfants et adolescents et maintenant les adultes concernant certains troubles. Cette tendance s’explique en partie par l’élargissement des critères diagnostiques du DSM, qui inclut maintenant des symptômes légers ou passagers.
Il est important de rappeler que les individus sont fortement influençables et peuvent adhérer rapidement à un diagnostic lorsqu’il est posé par un praticien reconnu ou une personnalité qu’ils apprécient. Il est donc probable que de nombreuses personnes s’identifient à ces troubles, en partie en raison d’un effet Barnum exacerbé, les amenant à voir dans ces descriptions générales et positives un reflet fidèle de leur propre expérience accentuant les autodiagnostics sauvages.
Un glamourisation de ces troubles qui occulte leur complexité et leur gravité
Parmi les fausses croyances, ces diagnostics sont fréquemment associés à une idée de supériorité intellectuelle. Être HPI, TDAH ou autiste serait avant tout une preuve d’exceptionnalité, et non une difficulté à surmonter ou un handicap. Pourtant, la métanalyse de Frazier, Demaree & Youngstrom (2004) qui examine la relation entre le TDAH et la performance aux tests d’intelligence et neuropsychologiques indique des tendances inverses. Les personnes atteintes de TDAH ont en moyenne un QI inférieur d’environ 9 points par rapport aux groupes témoins sans TDAH.
Ces croyances sont accentuées par une tendance à présenter certains troubles neurodéveloppementaux et cognitifs sous un prisme séduisant, notamment sur les réseaux sociaux. Cette mise en avant est souvent portée par des personnes aux symptômes légers à modérés, bien intégrées socialement et reconnues pour leur succès professionnel. L’image véhiculée simplifie considérablement la réalité : on dépeint l’autisme comme une simple introversion couplée à une intelligence hors norme, occultant les formes plus sévères qui peuvent entraîner une véritable détresse et un isolement social profond.
On constate que les personnes présentant ces troubles de manière plus sévère sont souvent invisibilisées, au profit de profils plus fonctionnels et charismatiques. Ce phénomène de glamourisation entraîne une forme de contagion sociale, où les individus les plus influençables s’identifient plus facilement à ces catégories, voire cherchent activement à en faire partie. Ici, le fait d’appartenir au groupe des atypiques procure un sentiment d’appartenance qui, bien qu’apparemment rassurant, peut s’avérer néfaste à long terme.
Le besoin de se définir par un trouble : un symptôme de narcissisme collectif
Certaines personnes, en proie à des difficultés identitaires, cherchent à exister à travers l’appartenance à une catégorie, les neuroatypiques étant aujourd’hui souvent perçus comme une élite marginale, une forme de « surdoués mal adaptés » dont la singularité justifierait certains écarts aux normes sociales.
Dès l’enfance, la pression parentale à la réussite joue un rôle clé : beaucoup de parents peinent à accepter que leur enfant soit dans la moyenne, voire en dessous, et recherchent dans un diagnostic professionnel une forme de réparation narcissique, un moyen de donner du sens à des performances ordinaires. L’idée que leur enfant ne sera jamais un génie est difficile à admettre, et certains espèrent qu’une étiquette comme HPI ou TDAH viendra expliquer ses difficultés et valoriser sa différence.
Cette quête d’exceptionnalité est encore renforcée par la pression sociale à l’accomplissement personnel, autrefois limitée au cercle familial et amical, mais désormais exacerbée par les réseaux sociaux, où chacun se met en scène et cherche à affirmer son unicité. Comment exister aujourd’hui lorsque l’on n’est ni unique ni différent ? Tout se passe comme si finalement ce qui est atypique aujourd’hui, c’est d’être normal.
Des diagnostics qui détournent les patients d’autres problèmes
Certaines personnes se reconnaissent dans les descriptions de HPI, de TDAH, de TDI ou d’hypersensibilité parce qu’elles offrent une grille de lecture séduisante à leurs expériences personnelles.
Ce phénomène est directement observable dans les cabinets des professionnels de santé, où certains patients cherchent avant tout un diagnostic qui viendrait justifier leurs difficultés psychologiques ou sociales, plutôt que d’entreprendre un véritable travail d’introspection. Or, cette démarche, plus exigeante et parfois douloureuse pour l’ego, met souvent en lumière des fragilités internes qu’il est plus difficile d’accepter.
Plutôt que d’identifier des leviers de changement et d’adaptation, certaines personnes (notamment les adultes « diagnostiqué après-coup ») réinterprètent l’ensemble de leur parcours à travers le prisme du trouble, persuadées que leur manque de reconnaissance ou d’intégration découle exclusivement de cette condition, et non de facteurs personnels ou contextuels freinant le changement et pouvant conduire à d’autres échecs personnels.
Des effets pervers pour les personnes réellement concernées
La banalisation des diagnostics pose un problème majeur pour les personnes véritablement touchées. Plus le HPI, le TDAH ou l’autisme sont revendiqués par un grand nombre, plus la reconnaissance des difficultés réelles devient complexe. Les besoins en matière d’accompagnement et d’adaptations spécifiques se diluent dans un flou général, au détriment de ceux pour qui ces aménagements sont essentiels.
Or, ces troubles s’évaluent généralement sur un continuum, où les personnes peuvent être plus ou moins fonctionnelles. Pourtant, les adaptations mises en place ne tiennent souvent pas compte de ces différences, ce qui crée une forme d’injustice inversée : dans des contextes académiques ou professionnels, des individus légèrement touchés (voire non concernées) bénéficient des mêmes aménagements que des personnes en grande difficulté, et se retrouvent avantagés par rapport à ces dernières, notamment lors d’examens ou de sélections compétitives.
Enfin, certaines personnes instrumentalisent de manière consciente ou inconsciente ces problèmes de santé mentale. Certains professionnels témoignent d’une utilisation opportuniste des diagnostics de santé mentale pour obtenir des aménagements injustifiés. Dans certains contextes professionnels, certaines personnes se servent d’un diagnostic (réel ou supposé) pour revendiquer des privilèges spécifiques, comme l’obtention d’un poste 100 % en télétravail, des horaires aménagés ou d’autres avantages qui, dans certains cas, ne sont pas réellement justifiés par leurs besoins.
Revenir à une approche rigoureuse et nuancée
Face à cette tendance, il est essentiel de rappeler que seuls des professionnels qualifiés et formés à la passation de ces tests (ce qui n’est pas le cas de tous les professionnels « psy » — psychologues spécialisés, psychiatres, neuropsychologues —) sont en mesure d’établir un diagnostic fiable. Toujours est-il qu’on peut se demander à quel point les personnes sont à la recherche d’un diagnostic fiable ou tout simplement d’une étiquette réparatrice ?
Parfois, le plus grand défi n’est pas de trouver une raison à ce que nous sommes, mais simplement d’affronter son reflet, aussi imparfait soit-il.
1Abdelnour, E., Jansen, M. O., & Gold, J. A. (2022). ADHD Diagnostic Trends : Increased Recognition or Overdiagnosis? Missouri Medicine, 119(5), 467‑473.
2Yeung, A., Ng, E., & Abi-Jaoude, E. (2022). TikTok and Attention-Deficit/Hyperactivity Disorder : A Cross-Sectional Study of Social Media Content Quality. The Canadian Journal of Psychiatry, 67(12), 899‑906. https://doi.org/10.1177/07067437221082854
3DSM : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux est une classification des troubles psychiatriques publiée par l’American Psychiatric Association (APA)
4Merten, E. C., Cwik, J. C., Margraf, J., & Schneider, S. (2017). Overdiagnosis of mental disorders in children and adolescents (in developed countries). Child and Adolescent Psychiatry and Mental Health, 11(1), 5. https://doi.org/10.1186/s13034-016-0140-5
5Effet Barnum : biais psychologique conduisant une personne à s’identifier fortement à une description vague et généralisée et souvent positive lorsqu’elle pense qu’elle s’applique à elle.
6Frazier, T. W., Demaree, H. A., & Youngstrom, E. A. (2004). Meta-analysis of intellectual and neuropsychological test performance in attention-deficit/hyperactivity disorder. Neuropsychology, 18(3), 543‑555. https://doi.org/10.1037/0894-4105.18.3.543